Nous, acteurs de la société civile tunisienne signataires de ce communiqué, réunis le 16 septembre 2015 à Tunis, avons pris connaissance du projet d`accord de libre-échange complet et approfondi (ALECA) proposé par l`Union Européenne (UE) à ses voisins du Sud de la Méditerranée. Nous constatons que ce projet, qui sera discuté avec le gouvernement à partir du mois d`octobre 2015, arrive à un moment où la Tunisie (gouvernement et société civile) n`a pas encore défini une vision partagée de son développement national et n`a pas déterminé ses objectifs stratégiques.
Consultés à la hâte par l`UE, en juin 2015, nous avons demandé un moratoire. Aujourd`hui, nous avons décidé de partager nos inquiétudes et appréhensions. Nous mettons en exergue l`importance des enjeux à venir aussi bien pour l`Europe que pour la Tunisie. Nous exposons également les nombreux défis à relever. Et enfin, nous proposons au gouvernement tunisien et aux parlementaires européens une série de recommandations en vue d`aboutir à un processus constructif.
Nous craignons que ce partenariat Nord - Sud soit établi sur des bases injustes et non durables et qu`il reproduise la même logique et les mêmes impacts de l`ancien accord de libre-échange de 1996. En effet, il est important aujourd`hui que la Tunisie tire des leçons des politiques adoptées sur les quatre dernières décennies ainsi que des politiques de partenariat antérieures. Faute de vision et d`une négociation pertinente du projet d`ALECA, la Tunisie risquerait de faire des choix inadaptés qui :
- privilégieraient les échanges purement commerciaux (marché potentiel pour les entreprises européennes) au détriment du transfert de technologie, de la recherche scientifique, des nouveaux métiers, de la bio-économie, etc.
- mettraient en difficultés les petites et moyennes entreprises peu préparées à un environnement intensément concurrentiel alors que les opérateurs européens ont, durant de longues années, été assistés par leurs gouvernements (ex. la politique agricole commune (PAC) et les politiques industrielles déclarées ou larvées).
- risqueraient, en adoptant une ouverture non contrôlées des marchés publics aux firmes européennes, de fragiliser de nombreux secteurs et de provoquer l`effondrement de pans entiers des tissus productifs provoquant un accroissement endémique du chômage (des centaines de milliers d`emplois dans le bâtiment et certains services sont menacés).
- déstabiliseraient considérablement le secteur agricole tunisien, pénalisé depuis de longues décennies par des blocages de prix, par un manque de valorisation notoire, par des problèmes fonciers et d`endettement endémiques, par un isolement et un manque d`infrastructure flagrants.
- n’entraîneraient que des flux d`investissements directs étrangers intéressés uniquement par le faible coût salarial de la main d`œuvre dans des activités non créatrices de richesses, alors que nos besoins sont dans les activités à forte faible valeur ajoutée et complexité technologique.
- accroîtraient les déficits budgétaire et extérieurs ce qui limiterait les réformes structurelles (réforme de l`Administration, des systèmes éducatif et sanitaire, fiscalité, du système d`appui social, etc.) et les transferts sociaux et entraînerait en conséquence la montée de la contestation sociale et alimenterait certains fléaux tels les extrémismes, l'informalité et même l`émigration clandestine.
- dépouilleraient l`Etat tunisien de tout pouvoir de régulation économique tant au niveau des aides aux entreprises, qui entreraient sous le coup des distorsions économiques de l`interventionnisme qu`au niveau des politiques sociales qui entreraient sous le coup du dumping social.
En outre, et afin d`inverser les tendances actuelles des relations économiques entre la Tunisie et l`UE, strictement commerciales, en faveur d`une approche de développement durable et d`inclusion sociale et régionale, il nous importe de rappeler que l`Europe, fortement liée socialement et économiquement à ses voisins, ne peut se développer en laissant à la traine les pays du Sud.
Il est également judicieux de rappeler que, la Tunisie fort ancrée dans sa modernité ne peut évoluer qu`en adoptant un développement inclusif garant d`une réelle cohésion sociale. Aussi, considérons-nous qu`il nous urge au Nord comme au Sud d`agir ensemble pour un co-développement et non pas pour un rattrapage hypothétique.
Ainsi, en vue d`aboutir à des accords durables et justes, nous demandons expressément tant à notre gouvernement qu`à l`UE d`être impliqués de manière effective et non formelle :
- dans la concertation sur le projet d`ALECA,
- et dans un comité de pilotage destiné à superviser une étude d`impact de l`ALECA rigoureuse, transparente et objective précédée d`une évaluation des impacts socio-économiques de l`accord de la zone de libre-échange de 1996.
POUR UN PAYS JUSTE, PROSPÈRE, MODERNE, TOURNÉ VERS LE FUTUR