Le Plan de développement 2016-2020 présente un intérêt capital pour le Pays en tant que cadre fixant les objectifs de la période et les moyens à mobiliser et stratégie à mettre en œuvre pour atteindre ces objectifs.
La note d’orientation ainsi que le projet présenté n’ont pas manqué de susciter des interrogations quant à la teneur et à la portée des choix qui y sont inscrits et des projections qu’ils comportent. Solidar Tunisie s’est attardée à les décortiquer via une étude critique scientifique et une approche participative impliquant les parties prenantes, approche que l’Association a adoptée dans l’étude des projets de réformes stratégiques pour le pays tels que le code des investissements, le code des incitations fiscales, le code des collectivités locales et les Accords de Libre-échange avec l’Union Européenne.
Cette démarche participative et de proximité enrichie par la contribution d’universitaires, d’experts et de praticiens permet aujourd’hui de présenter une étude critique « constructive » du Projet de Plan 2016-2020, mettant en relief les lacunes observées et les propositions pour y remédier.
Ainsi, même si les réformes programmées dans le plan sont ambitieuses et supposées corriger les faiblesses constatées dans le pays pendant la période écoulée (2011-2015), il n’en demeure pas moins qu’elles restent marquées par plusieurs limites. En effet, Solidar Tunisie constate que le diagnostic qui fonde ces réformes est le plus souvent qualitatif et comporte peu d’indicateurs quantitatifs. Les quelques indicateurs retenus ne sont que très rarement produits à un niveau régional ou par genre.
Tout en relevant que les axes stratégiques retenus sont le plus souvent indiqués pour la période à venir et que les réformes préconisées sont pertinentes, il faut signaler le manque d’un calendrier de mise en œuvre des réformes et l’absence d’indicateurs de monitoring et de suivi de leur impact ainsi que le défaut de l’identification des départements redevables de cette mise en œuvre.
S’agissant du schéma de développement économique adopté et compte tenu du programme de réformes à implémenter, le schéma retenu projette une reprise progressive de la croissance économique qui passerait de 0,8% en 2015 à 5,5% en 2020. Le taux de croissance annuelle en 2016-2020 serait en moyenne de 4% contre 1,5% en 2011-2015.
Pour réaliser cet objectif de croissance, les investissements projetés dans le plan s’élèveront à 120000 MD. Solidar Tunisie pense néanmoins que les investissements programmés, ne permettent pas de rattraper le retard accumulé en 2011-2015. De même, l’accroissement du taux d’investissement à 24,4% du PIB à l’horizon 2020, quoique important, reste insuffisant par référence aux performances des pays émergents et ne semble pas à la hauteur du programme des réformes du plan qui sont supposées impacter positivement les investissements (réforme de l’administration et meilleure gouvernance, assainissement du climat des affaires, nouveau code des investissements et campagne internationale de promotion du plan) A cet égard, les investissements à réaliser par les entreprises ne concordent pas avec le rôle qu’attribue le plan au secteur privé. De même les IDE prévus sont en deçà des efforts annoncés de diplomatie économique, de l’impact attendu du nouveau code des investissements et des efforts annoncés de prospection des investisseurs étrangers porteurs de projets structurants.
Par ailleurs, les investissements à réaliser par les pouvoirs publics au titre des équipements collectifs (Investissements en éducation et formation, santé, assainissement, urbanisme, à caractère social et culturel, services administratifs divers), connaissent en 2016-2020 une décélération. Pour Solidar Tunisie, le rythme prévu n’est pas suffisant pour rééquilibrer le développement du territoire national, pour attirer la population et les investissements dans les zones à faible indicateur de développement régional, pour mettre aux normes les villes de l’intérieur sans que les villes du littoral régressent.
En fait, l’investissement projeté reste contraint par la faiblesse de l’épargne nationale et par les limites de l’endettement, la dette devant rester soutenable. Solidar Tunisie pense, qu’outre les efforts envisagés d’augmentation de l’épargne publique, le plan doit prévoir des mesures incitatives pour l’épargne des ménages, or cet axe de promotion de l’épargne privée fait défaut dans le plan.
L’insuffisance des investissements touche surtout les secteurs manufacturiers qui sont la base économique du pays et produisent les biens exportables. Les investissements prévus par le plan ne permettent pas au secteur manufacturier de réaliser l’objectif de montée en gamme dans les chaînes de valeurs internationales, objectif prioritaire susceptible d’engendrer plus d’opportunités pour l’emploi des diplômés du supérieur. Il convient en fait d’impulser davantage les investissements dans les niches spécifiques où existent des avantages compétitifs et où le marché international est en croissance.
De même, pour Solidar Tunisie, les investissements agricoles projetés sont d’autant plus insuffisants que les produits du secteur ont un important potentiel d’exportation, que le code de l’investissement prévoit des dispositions pour promouvoir l’investissement dans le secteur, qu’une réforme foncière est envisagée et que l’agriculture joue un rôle déterminant dans le développement régional, les avantages compétitifs de nombreuses zones non littorales sont agricoles. Finalement, l’ALECA requiert une mise à niveau du secteur.
Les conséquences des choix sectoriels du plan sont notables au niveau de l’ouverture du pays et son intégration dans l’économie mondiale. Les indicateurs du commerce extérieur comme le taux d’exportation, le taux d’importation et le taux d’ouverture démontrent en 2016-2020 une poursuite de leur baisse entamée en 2011-2015. Par conséquent, si les prévisions du plan se confirmaient, l’économie nationale serait en voie de devenir de plus en plus fermée à l’horizon 2020. Cette évolution résulte du schéma de croissance sectorielle qui ne démontre pas une expansion suffisante de la base économique. La croissance projetée des biens échangeables n’engendre pas un développement du commerce international formel capable de contribuer positivement à la croissance.
En réalité, pour Solidar Tunisie, les prévisions relatives aux importations sont sous estimées et ne semblent pas cohérentes avec les hypothèses retenues de croissance économique et d’accélération du rythme des investissements et il conviendrait de les réviser tout en mettant en œuvre les politiques susceptibles de promouvoir les secteurs exportateurs et d’augmenter les exportations.
Au total, contrairement à l’objectif du plan, les investissements programmés et les prévisions des exportations et des importations dans le plan ne démontrent pas une transformation des structures de l’économie qui permet d’en faire un hub économique, c'est-à-dire un pays plus ouvert et où le commerce extérieur contribue de façon importante à la croissance. Ceci a bien entendu un impact sur les emplois à créer et sur leur qualité.
En dépit de l’insuffisance des investissements projetés pour combler le retard accumulé, Le plan prévoit la création de 400000 emplois qui permettraient de ramener le taux de chômage à 12%. Bien que cet objectif soit fortement souhaitable, divers arguments montrent qu’il est difficilement réalisable.
La prévision de création de 400000 emplois est basée sur l’hypothèse d’une croissance de la productivité apparente du travail de 1,8% seulement par an. Compte tenu des prévisions d’investissements et des programmes de réforme, la productivité du travail augmentera probablement de façon plus importante que ce qui est prévu dans le plan et par conséquent, l’emploi augmentera à un rythme inférieur à celui prévu.
Cette prévision est basée sur l’hypothèse que l’agriculture créera 11 % des emplois nouveaux alors qu’elle en a détruit en 2011-2015. Normalement, les gains de productivité qu’on attend dans l’agriculture en relation avec sa modernisation devraient juste consolider l’emploi existant. Par ailleurs, des demandes additionnelles de main-d’œuvre par l’agriculture risquent de buter contre l’indisponibilité d’une main-d’œuvre prête à travailler dans le secteur. SOLIDAR TUNISIE considère qu’il faut alors mettre au point une stratégie pour valoriser le travail agricole et pour retenir les populations dans les zones agricoles voire pour inverser le flux migratoire contrairement à ce qui est prévu par le plan qui prévoit plus de migrations vers le littoral.
Cette prévision est basée sur l’hypothèse questionnable d’une contribution de 17% de l’administration qui continue à recruter malgré ses effectifs pléthoriques et malgré l’objectif d’augmentation de l’épargne publique.
Cette prévision suppose que secteur des services marchands créera 44% des emplois projetés (dont 16,4% pour le commerce et 19% pour les autres services). Malgré la part croissante des activités à forte valeur ajoutée parmi les autres services marchands comme les services éducatifs et de santé et les services aux entreprises, le plan anticipe une quasi stagnation de la productivité du travail dans les autres services marchands. Cette hypothèse irréaliste signifie que les créations d’emploi y sont sensiblement surestimées.
Finalement, dans le schéma des créations d’emploi prédominent les secteurs à faible valeur ajoutée (le bâtiment et le génie civil, le commerce, l’agriculture…). Les secteurs en mesure de créer des emplois de qualité pour répondre aux aspirations des diplômés du supérieur et où la productivité apparente du travail augmente, ont une faible contribution aux créations d’emplois. Les déséquilibres sur le marché du travail risquent alors de s’accentuer avec des déficits de main-d’œuvre pour les secteurs contribuant le plus à la création d’emplois (le bâtiment, le commerce, l’agriculture…) et un excédent de ressources humaines diplômées en quête d’emploi. Ces déséquilibres seront d’autant plus importants que l’on ne mette pas en œuvre une politique spécifique à l’emploi des femmes largement majoritaires parmi les diplômés du supérieur. Le plan n’évoque que sommairement cette question.
Au total, pour que l’hypothèse de création de 400000 emplois deviennent réaliste, il faudrait que l’économie apprenne à mobiliser ses ressources humaines féminines, il faudrait que les taux d’investissement projetés subissent un saut qualitatif et dépassent les niveaux prévus par le plan, il faudrait enfin que ces investissements soient affectés davantage vers des secteurs exportateurs et à forte valeur ajoutée.
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