Solidar Tunisie est une organisation non gouvernementale tunisienne, indépendante des partis politiques, souveraine et, en même temps ouverte à tous, qui œuvre à créer un espace de dialogue participatif sur des projets de lois stratégiques soumis à l’Assemblée des Représentants du Peuple (ARP).
Dans le cadre de son programme de monitoring législatif, Solidar Tunisie souhaite apporter des améliorations issues d’études, de benchmarking et d’expertises complémentaires par la formalisation de propositions constructives et concrètes d’amendement.
Solidar Tunisie a déjà organisé des rencontres, des réflexions et a soumis, aux institutions concernées (ARP, Parlement Européen et le Ministère du Commerce) des recommandations concernant les ALECA qui ont eu un impact sur le processus de négociation, ces accords étant stratégiques pour la Tunisie.
De même, Solidar Tunisie a examiné le Code de l’investissement qui constitue la pierre angulaire de cet édifice économique. Certains l’assimilent, même, à une loi fondamentale et lui décernent le label de Constitution Economique du pays.
Dans ce contexte, Solidar Tunisie a organisé samedi 19 mars à Tunis un workshop autour du projet de code d’investissements auquel ont participé des membres de l’ARP, et plusieurs autres institutions telles que l’UTICA représentée par Nefaa Naifer, la CONNECT représentée par Monia Jeguirim, l’IACE représenté par Fayçel Derbal, l’Ordre des Experts Comptables de Tunisie représenté par Fattouma Ben Khedher, la BFPME représentée par Souhir Taktak, Karim Ghnim de la SICAR ainsi que des avocats des magistrats, des chercheurs et journalistes.
Le workshop s’est donné trois objectifs à savoir :
- présenter les travaux et l’étude et les analyses effectués au sein de Solidar de Tunisie, par des experts externes et internes, de différents profils et horizons : universitaires, chefs d’entreprises, financiers, experts comptables, juristes.
- élargir la concertation avec les différentes organisations qui ont déjà travaillé sur le code.
- lancer un dialogue avec l’ensemble des parties prenantes et opérateurs concernés par le secteur de l’investissement qu’elles soient publiques ou privées.
Ouvrant le bal, la présidente de Solidar Tunisie Lobna Jeribi a rappelé « qu’au -delà des point positifs qu’il contient à l’instar des droits et obligations des investisseurs ou de l’arbitrage, force est de constater que le projet présenté à l’ARP comporte des défaillances et insuffisances qu’il faudrait rectifier avant son adoption par l’Assemblée, comme :
- L’inconstitutionnalité du choix de déléguer au pouvoir réglementaire général le soin de définir les conditions d’octroi des primes de financement de l’investissement, leurs pourcentages et plafonds d’autant que l’article 65 de la Constitution stipule que tous les engagements financiers de l’Etat sont du domaine de la loi et ne peuvent être délégués à l’exécutif.
- Le choix de différer les dispositions afférentes aux incitations fiscales et de les séparer en les intégrant dans un autre texte législatif autonome alors que le code de l’investissement est censé être un texte généraliste et contenir toutes les réponses aux questions des investisseurs notamment quand il s’agit de la question des incitations qui les intéressent au plus haut niveau.
Par conséquent Lobna Jeribi a affirmé qu’un code devrait grouper ou au moins centraliser toutes les dispositions de l’investissement dans sa globalité. « A défaut, tous les textes sus-indiqués devraient être transmis, en même temps, à l’Assemblée et à la société civile afin de permettre aux élus et aux concernés d’avoir une vue globale de la vision structurelle de l’exécutif et de pouvoir juger leur impact sur l’investissement ».
Et d’ajouter que pour simplifier la gouvernance de l’investissement, la mise en place de l’instance Tunisienne de l’investissement (ITI), censée être l’interlocuteur unique de l’investisseur, gagnerait en étant plus soutenue. Pour y parvenir Mme Jeribi recommande de faire de l’instance une autorité administrative indépendante (AAI) au lieu de la créer sous forme d’établissement public à caractère non administratif (EPNA), afin de la doter d’une plus grande autonomie indispensable pour une bonne gestion de l’investissement et l’épargner des tiraillements politiques, source d’instabilité pour l’investissement.
Elle a également recommandé de donner de manière claire et expresse le « lead » à l’instance dans ses rapports avec les structures liées à l’investissement et ne pas la cantonner à un simple rôle de coordinateur sans pouvoir de décision. Le projet fait de l’instance un maillon supplémentaire aux structures existantes, ce qui constitue une source de complication et non de simplification administrative.
A défaut d’opter pour une absorption-fusion de toutes les structures de l’investissement au sein de l’ITI, le Code devrait stipuler explicitement que les actes émanant de l’instance sont obligatoires pour les dites structures autrement sa création ne serait d’aucun intérêt pour l’investissement d’autant plus que les structures de l’investissement sont placées sous différentes tutelles (ministère de l’industrie, du tourisme, de l’agriculture, du développement et de l’investissement et de la coopération internationale).
Lobna Jeribi n’a pas manqué de soulever que le projet du code a omis de donner un rôle aux collectivités locales dans le développement des régions, ce qui contredit les termes de la Constitution et va à l’inverse de l’esprit d’une vraie décentralisation qui donne à ces régions leur pleine autonomie par rapport au pouvoir central.
Lobna Jeribi a également rappelé que l’ambition de Solidar Tunisie est de professionnaliser ce processus, de capitaliser notre savoir-faire et de favoriser une participation élargie de volontaires, d’intéressés ou de concernés par la chose publique de différents bords.
Et de préciser que les objectifs clamés à hue et à dia, toutes tendances confondues exigent l’ancrage de la Tunisie dans le rang des pays ambitieux et jaloux du développement durable, équitable et à forte valeur ajoutée. Le diagnostic, l’analyse et le recensement de nos atouts et faiblesses sont largement partagés et peu remis en cause.
Son intervention achevée, le premier panel a été lancé, présidé par Professeur Salma Zouari Economiste à l’université de Carthage, ancienne présidente de l’université de Sfax et active dans plusieurs organisations, Think tank et institutions ayant travaillé sur les réformes socio-économiques.
Salma Zouari a précisé que la réforme du code des investissements est un élément essentiel dans l’ensemble des réformes que le pays doit entreprendre pour atteindre des paliers de croissance compatibles avec une plus grande productivité, une montée en gamme dans les chaines de valeurs mondiales et le plein emploi.
Elle a affirmé que si l’on souhaite croître à 5%, il faut un taux d’investissement total de 22,1%. Or, nous sommes aujourd’hui à 19,5% . D’où les questions qui se posent : Pourquoi l’investissement est-il si faible? Le projet du code permet-il d’atteindre les taux nécessaires à une croissance soutenue?
Mme Zouari a précisé dans ce contexte que l’investissement privé reste insuffisant puisque la part de l’investissement privé dans l’investissement total est faible. Elle a cité les exemples de la Tunisie qui a un taux de 61%, le Maroc : 78%, la Turquie : 85% et l’Égypte : 75%
Elle a également affirmé que la croissance économique a été au rendez vous jusqu’à 2008 mais est restée en deçà du potentiel du pays.
Salma Zouari a par ailleurs relevé un problème de qualité de la croissance, une faible capacité des entreprises à créer des emplois de qualité, d’où le chômage et un coût important de création d’emplois.
Quant à la question de savoir pourquoi les résultats ont-ils été en deçà des attentes, Pr Zouari a énuméré les incitations qui ont créé des distorsions, le cadre institutionnel qu’est le Code d’incitation à l’investissement de 1993 s’est avéré un facteur de blocage et l’environnement et climat des affaires peu propices.
Passant au deuxième panel, c’était au tour de Karim Jamoussi, magistrat et ancien secrétaire d’Etat aux domaines de l’Etat et des affaires foncières qui a procédé à une analyse critique du code, de le présider. Il a commencé par préciser l’existence d’une instance (ITI) sous une double tutelle à savoir le CSI et le ministère en charge de l’investissement, et une instance tiraillée entre les différentes structures de l’investissement sans commandement.
«Au-delà de l’aspect institutionnel, la bonne gouvernance exige une conformité avec la légalité, il serait utile de s’arrêter sur le contenu de l’article 9 du projet qui considère que le silence gardé par la BCT pendant un délai de 15 jours vaut autorisation pour l’investisseur de transférer des devises à l’étranger. Une telle disposition est inapplicable puisqu’une autorisation doit être expresse, elle ne se présume pas, elle doit être délivrée en bonne et due forme par l’autorité compétente » .
M. Jamoussi a affirmé dans ce contexte que la gouvernance de l’investissement n’est pas encore claire. Et pour cause, le code de l’investissement n’est pas le texte généraliste de l’investissement, il est adossé par une loi sur les incitations fiscales (en cours de préparation) des décrets réglementaires (non finalisés) et des conventions cadres fixant les rapports entre l’ITI et les structures de l’investissement et entre le FTI et les institutions financières qui seront proposées après la création du CSI(approuvées par le CSI pour l’ITI ,art14) ou par décret gouvernemental (Cas du FTI)
Par conséquent, Karim Jamoussi a recommandé le changement de la configuration des structures d’investissement, à travers l’allègement du cadre institutionnel de l’investissement par la suppression pure et simple du Conseil Supérieur de l’Investissement (CSI) qui s’apparente à un Conseil des Ministres Bis (l’évaluation et l’approbation des stratégies de l’investissement se fera par un Conseil ministériel ou Conseil ministériel restreint présidé par le Chef du Gouvernement, présentation d’un rapport annuel au CG, la discussion et la répartition annuelle des ressource financières se fera lors des discussions sur le budget de l’ITI),
Il a également recommandé d’énoncer explicitement dans le code que les décisions de l’ITI sont obligatoires pour les autre structures de l’investissement, et de changer la configuration juridique de l’ITI en la créant sous la forme d’une AAI , à l’instar du FTI permet de :
- la ménager des tiraillements politiques,
- la doter d’une plus grande autonomie et indépendance par rapport à l’Exécutif, conditions indispensables pour une bonne gestion de l’investissement,
Autre recommandation, Karim Jamoussi a affirmé que le budget du Fonds Tunisien de l’Investissement (FTI), le fonds des fonds, devrait être rattaché au ministère des finances pour la nature de ses attributions financières (gestion de ressources financières,), son domaine d’intervention (souscription dans des fonds, ainsi que les conventions cadres qui seront signées avec des institutions financières rattachées au Ministère des Finances.
Il a ajouté «il faudrait expliciter la nature et le rôle de l’organe de contrôle, citée à l’article 17 du projet, chargé de contrôler le FTI, le projet étant flou et laconique sur ce point, cet organe est le garant de la transparence des actions du FTI, modifier les dispositions de l’article 9 du projet en exigeant de l’administration le respect d’un délai pour autoriser le transfert de devises à l’étranger au risque d’engager la responsabilité de l’Etat (contentieux indemnitaire) et fixer les attributions des représentations de l’ITI dans les région, leurs compositions et leur pouvoir de décision afin d’asseoir une vraie décentralisation économique ».
Dorra Megdiche Meziou
POUR UN PAYS JUSTE, PROSPÈRE, MODERNE, TOURNÉ VERS LE FUTUR